Un nouveau client

[HJ : Avec réactions données par Alex !^^]

La voiture klaxonna très fort avant de dévier dans un crissement, alors que le chauffeur hurlait une insulte au piéton qui avait sauté de justesse sur le trottoir, brandissant un doigt d'honneur très délicat en s'éloignant. Abby avait sursauté puis grogné en regardant la voiture filer au loin, d'un air noir. Le seau rempli d'eau chaude et de produit nettoyant lui avait à moitié échappé des mains à cause de cet imbécile ! Elle le déposa au sol avec soin avant qu'il n'y ait d'autres dégâts puis prit une lavette avant de se mettre à laver toutes les tables en extérieur, sur la terrasse. Il promettait de faire très beau et chaud, aujourd'hui, la plupart des clients voudront sans doute boire leur café ou déjeuner dehors, aujourd'hui. La journée d'hier avait été très pluvieuse et il y avait eu peu de clients. Elle en avait profité pour travailler sur la compatibilité et s'occuper des factures de ses fournisseurs. Elle avait fait débaucher Julia un peu plus tôt que d'habitude, pouvant se débrouiller seule. Owen, lui, en avait profité pour nettoyer complètement le bar. De son côté, Edward, le cuisinier, avait aussi tout nettoyé à fond avant de partir.

Abby se pencha pour récurer une tâche de vin récalcitrante, ajoutant plus de produit. En faisant les fiches de paies la veille, elle avait réalisé qu'elle avait embauché ses trois collègues il y a tout juste trois ans de cela. Enfin, trois ans pour Julia et Edward, et un peu plus de deux ans pour Owen. Les affaires marchaient bien, elle songeait donc à embaucher un jeune étudiant ou un lycéen pour venir travailler avec elle le dimanche matin. Pour le moment, Julia venait un dimanche sur deux, mais Abby aimerait bien lui libérer complètement ce jour, maintenant qu'elle était mère d'un petit garçon. Il faudrait qu'elle poste une petite annonce dès qu'elle aura le temps. Les lycéens et lycéennes étaient souvent ravis d'avoir un petit boulot pour se faire de l'argent de poche et cela leur apprenait le monde du travail. Elle n'était pas très exigeante, ayant juste besoin d'une personne capable de nettoyer, ranger et servir les clients sans se tromper. C'était à réfléchir, Julia pourrait ainsi avoir sa journée complète pour son fils.

Rentrant dans le bar, après avoir mis les parasols et disposé l'affiche du jour pour les quotidiens qu'elle vendait, elle changea de tablier puis rattacha ses cheveux correctement. Les premiers clients du matin étaient surtout des habitués, des retraités qui venaient lire le journal ou jouer aux paris en buvant un café, des personnes partant au travail assez loin et qui venaient bavarder cinq minutes avant de prendre la route, sans oublier les éternels piliers de bar qui pouvaient rester une journée entière à consommer en continu. Passant derrière le bar, elle prit une tasse propre pour servir un café au doyen de la ville, qui venait d'entrer en lui souriant, avec un petit signe habituel. Il prenait toujours un café serré avec un croissant, chaque matin. Elle venait de lui servir lorsqu'un nouveau venu fit son entrée dans le bar. Touriste ? Elle le salua en revenant derrière le comptoir, entendant au passage un grand-père marmonner "Tiens, monsieur-le-distant nous honore de sa présence". Nouveau venu en ville, donc. Il vint s'asseoir sur un des hauts sièges du bar. Abby nettoya assez vite la place devant lui, où des miettes étaient restées, puis lui sourit.

- Que désirez-vous ? lui demanda-t-elle, lui trouvant l'air assez mal à l'aise et fatigué.

- Je vais prendre un café, s'il vous plaît. Ce sera combien ?

- Un dollar soixante-sept.

Elle prépara le café, prenant une coupelle, une petite cuillère, et un petit bonbon au chocolat, qui accompagnait toujours le café. Pendant que ce dernier se faisait dans la machine, elle vit d'autres clients du bar murmurer en désignant le nouveau venu par des signes discrets. C'est fou ce qu'il avait déjà l'air apprécié, celui-là, elle pourrait avoir pitié. Servant son café et prenant les pièces qu'il lui tendait, elle s'appuya des deux mains sur le comptoir, en contrebas de la longue plaque de marbre du bar. Elle lui souhaita la bienvenue à High River et il eut un faible, très faible sourire. Il avait vraiment l'air assez perdu, ce qu'elle mit sur le compte de l'accueil souvent très froid des habitants envers les nouveaux venus.

- C'est jamais très simple de débarquer dans une nouvelle ville, c'est vrai, dit-elle alors que Julia servait un chocolat chaud en chantonnant. Mais bon, bien souvent, les ragots disparaissent rapidement, les gens se lassent, surtout lorsqu'ils ne trouvent rien de vraiment concret à raconter sur une personne. Dès qu'ils verront que vous êtes une personne normale, ils arrêteront. C'est plus de la curiosité qu'autre chose, même si ça peut être pénible.

Abby essayait de le rassurer mais elle savait très bien que les racontars pouvaient durer des mois, surtout si la personne n'était guère du genre à participer souvent aux fêtes en ville ou à fréquenter les clubs et associations de quartier. Mais était-il venu seul ? S'il avait une femme et des enfants, ce sera sans aucun doute plus aisé pour lui. Les familles étaient plus facilement intégrées que les célibataires ou les parents isolés, sur qui on colportait aussitôt les pires horreurs. Elle se redressa pour encaisser le paiement d'un client puis lui dit au revoir, avant de revenir sur le nouveau venu, réfléchissant.

- Je m'appelle Abby Jonhson, au fait, se présenta-t-elle en lui tendant la main.

Il parut un peu surpris mais lui serra la main, lui donnant du même coup son nom. Elle se servit aussi un petit café, repoussant derrière son oreille quelques mèches blondes rebelles qui venaient glisser sur son visage. Elle avait attaché ses cheveux en chignon mais ils étaient très fins et ne tenaient jamais bien longtemps en place.

- Si vous avez des enfants, vous pouvez les inscrire dans des clubs ou des associations, ça aidera à vous intégrer, si vous rencontrez d'autres familles. Enfin, pour moi, ça peut être une bonne solution. Pour votre femme, il y a aussi un club qui rassemble beaucoup de mères, en ville, pour parler de l'école, etc. Cela vous intéresserait ?

Alex se retourna avant de grimper dans sa voiture, jetant un regard soucieux vers le petit studio de danse, les yeux plissés. Lors de leur arrivée ici, il s'était assez vite renseigné pour savoir où sa fille pourra continuer les cours de danse, si le professeur, une femme en l’occurrence, était compétent ou non, si l'endroit était facile d'accès, l'horaire des cours, le niveau, les tarifs etc. Il pensait que tout sera très bien mais l'accueil reçu là-dedans n'était vraiment pas fait pour le rassurer... Il espérait que la propriétaire du studio sera plus aimable que celle qui avait prit l'inscription de Jaznee. Il était peut-être trop protecteur avec sa petite fille, oui, mais elle avait six ans, il était hors de question de laisser un ou une abruti lui démolir le moral alors qu'ils venaient à peine d'arriver ou de lui faire perdre confiance en elle ! Surtout sur ce terrain, elle adorait la danse, il ne voulait pas qu'elle en perde le goût, la joie qu'elle en retirait. Ce déménagement devait déjà être assez perturbant pour elle mais il allait faire en sorte qu'elle retrouve très vite ses repères.

Il mit sa ceinture puis le contact, déboîtant en douceur en regardant dans le rétroviseur. Il faisait toujours bonne figure devant Jaznee mais lui aussi était déjà fatigué et assez refroidi. L'accueil dans cette ville était déplorable... Il n'avait jamais été confronté à ce genre de réactions. Lorsque ses voisins les plus proches étaient venus le saluer avec une boîte de gâteau, il avait d'abord été content, leur offrant un café pour discuter et faire connaissance. En entrant, Jaznee avait su les faire fondre en courant dire bonjour avec son sourire d'ange. Puis ils avaient demandé si "madame travaillait aujourd'hui, car il faudra revenir la saluer aussi". Quand il avait répondu qu'il était célibataire, il avait récolté un monceau de regards qui allaient du choc complet à la désapprobation la plus totale. Ils étaient paris assez vite et depuis, Alex pouvait entendre les ragots et les rumeurs, sur son chemin. Un père seul avec une enfant de cet âge, ça ne passait pas. S'arrêtant sur un petit parking, il sortit pour aller prendre un café, histoire de se réveiller un peu et de se changer les idées. Il y avait encore peu de monde dans les rues, à cette heure, mais il faisait déjà très chaud.

Poussant la porte, il dit bonjour poliment, affichant un air normal même si son regard en disait long. Seule une serveuse, ou la patronne, il ne savait pas, lui répondit, tout en revenant au bar. Elle ressemblait un peu à la mère de Jaznee, d'ailleurs... Plutôt grande, les cheveux très blonds, le teint pâle. Il s'assit sur un tabouret haut au bar, alors qu'elle nettoyait rapidement la place. Peut-être que s'il venait souvent dans ce genre d'endroits, les habitants verront qu'il était un homme ordinaire, n'est-ce pas ? Du moins, il l'espérait. Ôtant sa veste et la déposant derrière lui, il jeta un rapide coup d'œil au tableau donnant les consommations disponibles. Il faisait son possible pour se détendre et paraître aimable, sans parvenir à sourire, néanmoins. Enfin, il pouvait bien parvenir à se détendre un peu en attendant d'aller récupérer Jaznee. Il espérait que tout se passe bien pour elle, qu'elle se fasse des amies.

- Que désirez-vous ?

- Je vais prendre un café, s'il vous plaît. Ce sera combien ?

- Un dollar soixante-sept.

Il tira son porte-monnaie pour chercher la somme exacte pendant qu'elle préparait sa commande. Une autre femme travaillait ici, vêtue de la même tenue que la blonde, avec un air joyeux et détendue. Ce café avait l'air plutôt agréable, au moins, les serveurs ne tiraient pas la tête, comme il avait déjà pu le voir. Détail étrange, tout semblait être neuf, comme si le magasin venait tout juste d'ouvrir. Mais l'ambiance ne collait pas à celle qu'on trouvait dans les tous nouveaux cafés et restaurants. De plus, le matériel n'était pas celui des jeunes débutants dans le métier. Il la paya lorsqu'elle lui donna ce qu'il avait demandé, jetant un coup d'œil au décor. C'était simple, sobre, avec des affiches représentant les paysages des Rocheuses et parfois des animaux. Il se détendit un peu, préférant ce genre de bar à l'ambiance plus familiale contre ceux très gros et importants où le client était juste un numéro de commande et où vous n'aviez pas l'ombre d'une parole aimable. La serveuse lui souhaita tout à coup la bienvenue en ville et il parvint à lui répondre par un faible sourire. Mettant du sucre dans sa tasse, il touilla un peu, remontant ensuite les manches de sa chemise car il avait déjà très chaud.

- C'est jamais très simple de débarquer dans une nouvelle ville, c'est vrai, dit-elle alors que Julia servait un chocolat chaud en chantonnant. Mais bon, bien souvent, les ragots disparaissent rapidement, les gens se lassent, surtout lorsqu'ils ne trouvent rien de vraiment concret à raconter sur une personne. Dès qu'ils verront que vous êtes une personne normale, ils arrêteront. C'est plus de la curiosité qu'autre chose, même si ça peut être pénible.

Il arrêta à moitié son geste, pris de court, avant de boire une longue gorgée, pendant qu'elle allait en caisse pour un autre client. Elle était bien la première qui lui parlait si librement de ça, directement. Il reposa la tasse, espérant qu'elle ait raison, et aussi un peu soulagé. Donc ça ne venait pas que de lui, les habitants de cette ville avaient véritablement un problème avec les étrangers. Il ne devait pas être le premier puisqu'elle lui parlait de ça. Elle avait l'air assez agréable, en tout cas, c'était une bouffée d'air frais, dans cette ambiance bien lourde. Elle revint vers lui et il comprit qu'elle devait être la patronne. Elle s'occupait de la caisse, prenait le temps d'engager la conversation avec lui, "l'étranger", évoluait à l'aise derrière ce bar. Elle devait être la première à lui parler ainsi spontanément, d'ailleurs, mais il craignait le moment où elle allait comprendre "père seul avec une petite fille de six ans". Il en avait assez des regards en coin, de la colère ou du dégoût.

- Je m'appelle Abby Jonhson, au fait, se présenta-t-elle en lui tendant la main.

Surpris, il eut un très léger temps d'arrêt puis lui serra la main, se présentant à son tour. Cet accueil était perturbant, après ce qu'il avait déjà entendu, mais il restait assez tendu. Il but un peu de café pendant qu'elle s'en servait un aussi, pensif. Son interlocutrice semblait avoir le même âge que lui ou à peu près, elle était plutôt sympa.

- Si vous avez des enfants, vous pouvez les inscrire dans des clubs ou des associations, ça aidera à vous intégrer, si vous rencontrez d'autres familles. Enfin, pour moi, ça peut être une bonne solution. Pour votre femme, il y a aussi un club qui rassemble beaucoup de mères, en ville, pour parler de l'école, etc. Cela vous intéresserait ?

Il hocha lentement la tête, ôtant le papier du bonbon avec un soin exagéré. Et voilà, on en arrivait toujours à cela, d'une façon ou d'une autre. Les habitants d'High River semblaient porter une importance cruciale à la famille et à la vie de couple, ce qui n'était pas mauvais en soit mais qui devenait lourd lorsque c'était autant mis en avant. Lui-même se moquait bien de qui était en couple ou non et qui élevait ses enfants seul ou pas, chacun sa vie, ça ne relevait que du privé. Las, cette position ne semblait viable que dans les plus grosses villes, où les habitants étaient trop nombreux pour savoir qui était avec qui. Ici, High River était assez petite pour permettre l'espionnage et les ragots.

- J'ai une fille de six ans, que je viens d'emmener au studio de danse de la ville, dit-il en touillant son café. Elle a eu des cours l'année dernière et je viens de la ré-inscrire. Comme nous venons d'arriver, j'espère qu'elle va se faire des amies. Pour le reste, c'est à voir. Je ne suis pas marié.

- Moi non plus, sourit-elle en s'appuyant contre le bar. Mais je participe à deux ou trois clubs, dans le coin.

C'était peut-être ridicule et idiot, mais Alex fut tout de même pris par une immense vague de soulagement, devant cette réaction. C'est bon, il n'était pas jugé, il n'avait pas eu de réflexion. Abby lui parut d'un seul coup beaucoup plus sympathique et il engagea plus facilement la conversation, demandant à quels clubs elle participait et se renseignant un peu sur ce qui existait en ville. Il y avait un peu de tout, surprise dans une ville de cette taille. Clubs d'échecs, de jeux de cartes, de couture, de mères de famille, d'anciens combattants, de tir avec armes à feu ou armes anciennes, judo et ainsi de suite. Il ne savait guère ce qui pouvait l'intéresser, par contre, n'étant pas spécialement attiré par l'une ou l'autre discipline. Abby se pencha tout à coup et tira un dépliant sous le comptoir qu'elle lui tendit, où tous les clubs et associations étaient répertoriés. Il la remercia, y jetant un coup d'œil, tout en buvant son café.

- Peut-être l'équitation, je vois qu'il y a pas mal de cours, selon les manèges et les ranchs. J'ai un cheval et je monte régulièrement, mais pas au niveau professionnel, c'est certain. Sinon, je ne sais pas... Je suis écrivain, de métier, et peu emballé par les clubs de sciences ou de maths.

Il eut un petit sourire, déposant le dépliant sur le comptoir avant de reprendre sa tasse en main. Ce n'est qu'à ce moment qu'il réalisa qu'il venait d'avouer son métier sans même y prendre garde, lui qui avait toujours eu tendance à garder cela bien enfoui au fond de lui avant de le dévoiler aux personnes de confiance. Bon, tant pis, Abby n'avait pas l'air du genre à critiquer pour rien.

- Il y a des ranchs, dans le coin, qui proposent des cours d'équitation aux jeunes enfants ? Ma fille adore monter, ça lui plaira sûrement. Si vous connaissez des adresses, je suis preneur.

Il approuva d'un signe de tête, alors qu'elle cherchait un nouveau paquet de sucre dans les placards derrière le bar pour en mettre un ou deux dans son café. Elle en tira un neuf puis remplit aussi les coupelles destinées aux clients, qui détestaient le boire noir. Julia bavardait avec les clients dans la salle en prenant les commandes ou en débarrassant. Il y avait peu de monde, ce matin, ils n'étaient pas dans une période encore très animée de l'année. Depuis la remise à neuf après l'incendie, le principal souci d'Abby avait été de refaire la trésorerie de son commerce et de revoir tous ses clients. Ce fameux incendie... La police ne savait toujours pas l'origine mais Abby croyait peu à la thèse de l'accident. Comment il y aurait-il u y avoir un incident d'électricité avec des installations refaites il y a moins d'un an ? Elle remit le sucre dans le placard, touillant ensuite le contenu de sa tasse avant de goûter. Encore très amer. Elle faisait toujours le café très fort, ses clients aimaient bien ça, mais elle n'y avait jamais pris goût. Elle but une gorgée rapide puis reporta le regard sur le nouveau venu.

- J'ai une fille de six ans, que je viens d'emmener au studio de danse de la ville, dit-il en touillant son café. Elle a eu des cours l'année dernière et je viens de la ré-inscrire. Comme nous venons d'arriver, j'espère qu'elle va se faire des amies. Pour le reste, c'est à voir. Je ne suis pas marié.

Ah, tiens, elle comprenait mieux la réaction de certains, à présent ! Homme célibataire vivant à l'écart avec une petite fille, il leur fallait bien moins que ça pour lancer les pires rumeurs, d'ordinaire. Ils avaient déjà faits leurs gorges chaudes avec la mère Fleming et sa fille, un ou deux mois plus tôt, et voilà qu'ils se trouvaient une toute nouvelle cible. Franchement... Enfin, il pouvait se rassurer un peu, tout le monde n'avait pas cette mentalité, ici.

- Moi non plus, sourit-elle en s'appuyant contre le bar. Mais je participe à deux ou trois clubs, dans le coin.

Il lui parut bizarrement soulagé. S'attendait-il à ce qu'elle lui fasse une réflexion désobligeante ? Elle n'était pas comme ça ! Qu'est-ce qu'il avait bien pu entendre jusqu'ici... Elle laissa couler ce sujet, parlant plutôt avec lui des clubs qui existaient en ville. Elle lui détailla quelques uns, selon ce dont elle se souvenait, faisant parfois des commentaires un peu acides sur certaines associations. Elle lui parla de la fameuse association des "Mères de Famille", qui était en fait une réunion de femmes convaincues qu'elles valaient bien mieux que les autres car elles restaient chez elles à élever leur ribambelle de gosses, pendant que monsieur partait au travail. La parfaite image de la mère au foyer des années quarante, c'était pitoyable. Il y avait aussi un club de tir, dont presque tous les membres cotisaient à la NRA. Elle y avait été une fois par curiosité, mais les armes, ce n'était guère son truc, bien qu'elle sache manier le couteau en cas de besoin. Sinon, il y avait aussi les clubs de sports, en tous genres, du golf au canoë. Pas mal de sports un peu extrêmes se pratiquaient aussi dans les Rocheuses.

Se souvenant qu'elle avait quelques documents donnés par l'office de tourisme, elle se pencha sous le bar puis en tira un dépliant récapitulant les grandes lignes sur les clubs avant de le lui tendre. Il la remercia, alors qu'elle buvait une grande gorgée de café. Il y aurait sûrement un truc qui lui plaira, non ? Dans cette ville, participer à au moins un de ces clubs était quasi-obligatoire si on voulait s'intégrer. Elle s'appuya contre le bord du bar en attendant qu'il consulte le document. Il n'avait pas l'air bien emballé, cependant. Elle répondit au signe d'au-revoir à un papy qui sortait avant de revenir sur Alex. Il lui faisait un peu de peine, honnêtement. Il n'avait pas vraiment choisi la bonne période pour s'installer ici... Elle reposa sa tasse, un peu pensive.

- Peut-être l'équitation, je vois qu'il y a pas mal de cours, selon les manèges et les ranchs. J'ai un cheval et je monte régulièrement, mais pas au niveau professionnel, c'est certain. Sinon, je ne sais pas... Je suis écrivain, de métier, et peu emballé par les clubs de sciences ou de maths.

Elle répondit à son sourire, surprise néanmoins. Il était écrivain ? Pas banal comme profession ! Pour elle qui adorait lire, pouvant y passer des heures, elle eut soudain beaucoup de questions à lui poser. Rencontrer un véritable écrivain, en chair et en os, c'est comme si Noël était venu avec des mois d'avance. Son appartement entier était rempli de livres, ils recouvraient des murs, garnissaient les étagères, elle en avait partout. Elle détailla Alex avec bien plus de curiosité et d'intérêt, à présent, mourant d'envie d'en savoir plus sur lui, ce qu'il produisait, comment il avait emprunté cette voie, si ça marchait bien et ainsi de suite.

- Il y a des ranchs, dans le coin, qui proposent des cours d'équitation aux jeunes enfants ? Ma fille adore monter, ça lui plaira sûrement. Si vous connaissez des adresses, je suis preneur.

Elle réfléchit un instant avant de répondre, yeux plissés. Des cours d'équitation pour les enfants... Ne s'intéressant pas vraiment à ce domaine, elle ne s'était jamais posée la question, mais il y avait plusieurs ranchs qui proposaient des prestations pour les touristes, donc pourquoi pas des cours aussi ? Elle hocha donc la tête, peu sûre, mais il pourra se renseigner facilement.

- Je ne suis pas certaine, mais vous pouvez toujours allez vous renseigner directement. Il y a deux ranchs qui pourraient convenir, Briar Ridge et Heartland. Le premier est plus gros et propose des cours aux adultes, mais pour les enfants, je ne sais pas. Je vous conseille d'aller voir sur-place, pour les deux.

Elle lui sourit, un peu gênée de ne pouvoir lui en dire davantage mais elle-même n'était pas cavalière. Elle termina son café en une gorgée puis mit la tasse dans l'évier, s'accoudant des deux bras sur le comptoir, un peu penchée vers lui. Tomber sur un écrivain, un vrai, c'était un vieux rêve qui venait de se réaliser. Elle lui sourit de plus belle, ayant tant de questions à lui poser d'un seul coup.

- Donc vous êtes écrivain, reprit-elle, le regard brillant. De quel genre de romans ? Et vous faites cela depuis longtemps ? Je ne me souviens pas d'avoir lu votre nom mais je vois passer tellement de livres ! Comment l'êtes-vous devenu ? Vous y passez toutes vos journées ? Combien de livres avez-vous déjà publié ?

Elle s'interrompit, les joues un peu plus rouges en réalisant qu'elle harcelait de questions. Julia, qui avait tout entendu, étouffa un rire dans un toussotement exagéré avant de s'éloigner de nouveau. Abby se retint de lui tirer la langue et revint aussitôt sur Alex, fascinée.

- Désolée, je ne veux pas vous gêner. Mais vous êtes le premier que je rencontre et j'adore lire ! Si vous aviez un de vos livres avec vous, ici, ce serait le bonheur.

Elle hocha la tête, pendant qu'il grignotait la petite sucrerie qui accompagnait le café. Peut-être que Jaznee n'aura pas forcément l'envie d'avoir une seconde activité périscolaire mais se renseigner ne coûtait rien. Elle pouvait tester, voir si ça lui plaisait puis choisir si elle voulait faire ça en plus de la danse ou bien ne garder qu'une seule des deux activités. Les cours d'équitation coûtaient chers mais Alex était heureux, aujourd'hui, de gagner bien assez pour pouvoir proposer ce genre d'activité à sa fille. Il avait eu une longue période dans le besoin mais c'était terminé, il pouvait se permettre bien plus de choses, grâce à son travail. Reste à savoir ce qu'il y avait dans le coin, si ça conviendra, comment étaient les instructeurs et les moniteurs, etc. Il tenait vraiment à se renseigner car il était hors de question qu'il confie sa fille à des têtes de cons. Elle était encore très jeune et en plein développement, il refusait qu'un abruti se mette à lui faire perdre confiance en elle ou la pousse à abandonner ce qui lui plaisait.

- Je ne suis pas certaine, mais vous pouvez toujours allez vous renseigner directement. Il y a deux ranchs qui pourraient convenir, Briar Ridge et Heartland. Le premier est plus gros et propose des cours aux adultes, mais pour les enfants, je ne sais pas. Je vous conseille d'aller voir sur-place, pour les deux.

Heatland et Briar Ridge... Très bien. Il sortit un petit calepin de sa poche et un stylo pour y griffonner rapidement les deux noms, se promettant de regarder la route dès qu'il rentrera à la maison, il avait acheté plusieurs cartes du coin. Ils étaient en juillet, il avait le temps de s'y rendre avec sa petite puce pour sentir un peu l'ambiance. Il remit le carnet dans sa poche puis releva la tête, voyant qu'Abby s'était accoudée sur le comptoir, plus près. Oh, joli décolleté... Hum, bref, ne pas songer à ça. Elle souriait encore plus largement, à présent, et il se demanda ce qu'il avait bien pu dire ou faire. Il lui rendit son sourire puis but une autre gorgée de café, serrant ensuite ses mains sur la grande tasse, plus par réconfort et habitude que pour vraiment se réchauffer. Depuis qu'il était enfant, il prenait un café ou un chocolat tous les matins, en écoutant la radio. Maintenant que Jaznee était assez grande, il avait pris l'habitude de boire un chocolat avec elle tous les matins au petit-déjeuner. On lui avait parfois reproché d'être trop proche de sa fille, comme si c'était malsain, comme si on l'accusait de vouloir la violer. Il avait cassé le nez du dernier qui lui avait dit ça, bien comme il faut, ce qui lui avait d'ailleurs valu une solide amende, doublée de trois heures en garde-à-vue.

- Donc vous êtes écrivain, reprit-elle, le regard brillant. De quel genre de romans ? Et vous faites cela depuis longtemps ? Je ne me souviens pas d'avoir lu votre nom mais je vois passer tellement de livres ! Comment l'êtes-vous devenu ? Vous y passez toutes vos journées ? Combien de livres avez-vous déjà publié ?

Il ouvrit de grands yeux alors qu'elle rougissait, arrêtant net tous mouvements, alors qu'il portait sa tasse à ses lèvres. Il ne s'attendait pas du tout à ce qu'elle le questionne sur ça ! D'habitude, on lui lâchait à la face un "C'est pas un vrai métier" ou on disait qu'il était une sorte de hippie. Mais personne ne lui avait jamais demandé de détails. Il rougit un peu à son tour, content néanmoins de voir qu'elle s'intéressait à son travail. Cette femme était décidément une perle rare, il n'avait jamais rencontré de personne comme elle. Il termina son geste, buvant une longue gorgée, puis reposa la tasse, rajoutant un petit peu de sucre avant de touiller. Par quoi commencer... Le sujet était vaste.

- Désolée, je ne veux pas vous gêner. Mais vous êtes le premier que je rencontre et j'adore lire ! Si vous aviez un de vos livres avec vous, ici, ce serait le bonheur.

- Je ne transporte pas mes livres sur moi, navré, répondit-il avec un petit rire. Et vous ne me gênez pas du tout, c'est bien rare qu'on s'intéresse à ce que j'écris.

Il croisa son regard, voyant ses yeux brillants de curiosité. Oui, vraiment agréable, c'était la surprise du matin, pour lui qui entrait avec la simple intention de se détendre un peu et passer le temps en attendant d'aller récupérer Jaznee. Cette matinée prenait une tournure inattendue mais cela le rendait heureux, étrangement. Pouvoir discuter d'uns sujet qui le passionnait, le partager, dans cette ville inhospitalière, c'était vraiment très bien.

- Par où commencer... J'écris depuis bien longtemps, oui, mais je ne publie pas en mon nom propre, j'utilise des pseudonymes. Pour garantir ma tranquillité et celle de ma fille. Pour le genre, j'écris de tout. Des romans d'aventure, des quêtes médiévales... En plus sérieux, je fais aussi des romans d'enquête. Ça peut prendre des journées entières, mais je suis libre d'organiser mon temps comme je le souhaite, c'est très agréable.

Il lui avoua ensuite ne plus savoir exactement combien de livres il avait déjà publié, un peu gêné, mais elle rit en lui assurant que ce n'était pas grave, qu'elle était juste trop curieuse. Alex ne pouvait rien dire contre ça, il était curieux de nature et ne pourrait jamais exercer son métier sans cela.

- Si vous voulez, vous pouvez passer à la maison, ce sera plus simple si vous avez envie d'en savoir plus. Je pourrai vous montrer mon travail.

- Je ne transporte pas mes livres sur moi, navré, répondit-il avec un petit rire. Et vous ne me gênez pas du tout, c'est bien rare qu'on s'intéresse à ce que j'écris.

Si les gens n’aimaient pas lire, tant pis pour eux. Abby, elle, adorait ça depuis toute petite, sa mère lui avait donné l’habitude très jeune en lui lisant une histoire tous les soirs puis en lui achetant des petits livres dès qu’Abby avait appris à lire à l’école. Depuis, elle continuait, lire l’aidait à s’évader dans un autre monde, loin de celui où ils vivaient et qui l’épuisait bien souvent. Elle était ravie de rencontrer un écrivain, en chair et en os, un homme qui passait sa vie à écrire tous ces bouquins dont son appartement était rempli. Elle vida sa tasse de café d’une courte traite, la déposant ensuite dans l’évier pour la laver plus tard, avec d’autres. D’habitude, les conversations dans ce bar tournaient autour de la météo, du travail de la police sur ces meurtres ou du prochain championnat équestre. Rien de bien palpitant, somme toute. Abby ne voulait pas se mêler de cette affaire d’assassinat, dans ce genre de trucs, moins on en sait et mieux on se porte. Elle n’avait pas été formée pour fourrer son nez là-dedans et n’en avait aucune envie non plus.

- Par où commencer... J'écris depuis bien longtemps, oui, mais je ne publie pas en mon nom propre, j'utilise des pseudonymes. Pour garantir ma tranquillité et celle de ma fille. Pour le genre, j'écris de tout. Des romans d'aventure, des quêtes médiévales... En plus sérieux, je fais aussi des romans d'enquête. Ça peut prendre des journées entières, mais je suis libre d'organiser mon temps comme je le souhaite, c'est très agréable.

Des romans d’enquête, donc il pourrait écrire sur les crimes qui avaient secoué la ville ? Il lui avoua qu’il ne savait même plus combien de livres il avait déjà publié et elle eut un petit rire, lui assurant que ce n’était pas bien grave. C’était elle qui était trop curieuse, voilà tout. Elle se demandait à quoi pouvait bien ressembler ses journées, combien d‘heures passait-il dehors pour ses recherches, combien penchés sur son bureau à taper sur son clavier, couvrant des pages entières de signes, des lignes dans un nombre incalculable. Elle-même avait un métier bien différent, à se lever tous les matins pour ouvrir le bar, puis le restaurant, servir les clients, encaisser, ranger et laver la boutique, trouver le plat du jour, faire le marché pour le midi, aller chercher le pain, appeler les fournisseurs, recevoir les inspections sanitaires. Pas une vie bien trépidante mais ça lui plaisait, partir à l’aventure chaque jour sera lassant à la longue.

- Si vous voulez, vous pouvez passer à la maison, ce sera plus simple si vous avez envie d'en savoir plus. Je pourrai vous montrer mon travail.

- Oh, c’est vrai ? J’adorerais ! Je vous remercie, il faudra qu’on se cale un moment. J’apporterai des gâteaux maison, votre fille aimera sûrement ça.

La journée prenait de belles couleurs, même si elle avait un peu mal débutée. Ils discutèrent encore un moment avant qu’il ne doive filer. Abby le salua, se remettant au service du café. Julia pouffait toute seule en rendant la monnaie à un client, lui lançant un long regard entendu au passage. Oh, ça va, hein ! Abby lui rendit cependant son sourire puis alla en cuisine couper le pain et préparer les couverts pour el service du midi. Elle ne manquera pas de recontacter le nouveau venu en ville.